Années 60 : Le Laos et ses trois princes (1957-1967).

Afin de bien comprendre la politique au Laos durant la guerre froide il nous faut d’abord comprendre qui sont les “trois princes” ayant rythmé la vie politique lao durant les années 60.

Qui sont les trois princes du laos ?

Les trois princes sont trois figures majeures de l’histoire du pays, chacune des trois figures se faisant le représentant d’un mouvement politique au Laos dans le milieu du 20e siècle.

  • Prince Souvanna-Phouma : Leader de la faction neutraliste/progressiste et homme politique important du gouvernement royal, il sera premier ministre à de nombreuses occasions et mènera les pourparlers face au Pathet lao pendant les guerres d’Indochine.
Prince souvanna Phouma and President Kennedy. Source : Wikipedia, “Souvanna Phouma”, En ligne (consulté le 24 Mars 2021).
  • Prince Souphanouvong : Leader du mouvement indépendantiste dans un premier temps, puis du mouvement communiste lao dans un second temps, il prend la place du prince Phetsarah autre leader indépendantiste et mènera le pays au début du régime socialiste mis en place dans les années 70.
Prince Souphanouvong. Source : Fandom Historica, “Souphanouvong”. En ligne “(consulté le 21 Mars 2021).
  • Prince Chao Boun Oum Na Champasak : Descendant héréditaire de la lignée royale de l’ancien royaume de Champassak et leader de la faction royaliste, il est d’une idéologie plus conservatrice et à droite que le parti indépendantiste. Se posant comme principal opposant au communisme, il sera l’un des principaux alliés lao des français sous le régime colonial dans les années 50 et des américains lors des guerres d’Indochine.
Prince Chao Boun-Oum Source :  Dutch National Archives, The Hague, Fotocollectie Algemeen Nederlands Persbureau (ANEFO), 1945-1989. En ligne (consulté le 21 Mars 2021).

La paix fragile du début des années 60

Les premières années de “paix” au Laos sont marquées par une importante déstabilisation de la droite dans la politique nationale. En effet, alors que les partis neutraliste et royaliste n’arrivent plus à s’entendre, le Nèo-lao-issala (pathet lao) lui gagne en popularité.

La victoire du parti de gauche que la droite avait sous-estimée ébranle le gouvernement d’union et Souvanna-phouma est tenu responsable de l’enracinement des communistes dans la politique nationale. Mécontent, les américains suspendent l’aide financière ce qui mènera à la démission du chef du gouvernement (Souvanna-phouma).

Le nouveau premier ministre Phoui Sananikone (mis en place par l’influence des USA) viole les accords militaires précédemment signés en armant l’armée royale et en resserrant ses liens avec la chine nationaliste et le sud-vietnam. Il obtient les pleins pouvoirs de l’assemblée nationale et le ton se détériore entre le nouveau premier ministre et le parti socialiste Nèo-lao-issala. Le nouveau gouvernement est accusé d’être à la solde des américains, le Pathet lao est lui accusé d’être à la solde du Nord-Vietnam.

Phoui Sananikoné Source : Historica fandom, “Phoui Sananikoné”, En ligne (consulté le 27 Mars 2021).

Les sujets qui avaient été précédemment évités reviennent sur la table (comme la question de l’intégration des forces armées pathet lao dans l’armée royale) et la situation se détériore rapidement. Le journal du parti communiste (d’abord censuré) est fermé pour sa critique du gouvernement et plusieurs députés du Pathet Lao sont arrêtés.

La fragile paix qui tentait d’être maintenue depuis 1956 est brisée le 12 Mai 1959, date à laquelle les dirigeants du pathet-lao se réunissent et adoptent la reprise de la lutte armée.

Souphanouvong est critiqué pour avoir donné trop de crédit à la droite et plusieurs haut dignitaires du Pathet lao sont contraints de fuir Vientiane.

Le prince Souphanouvong est arrêté avec d’autres membres du Pathet lao, décision que Souvanna-Phouma critique fortement. Le prince rouge ne sera cependant jamais jugé, le secrétaire général de l’ONU Hammarskjold s’y opposant fermement. Le gouvernement royal dénonce internationalement l’implication du nord Vietnam dans le conflit, accusations jugées non convaincantes par l’ONU.

Secrétaire de l’ONU Hammarskjold. Source : Perspéctive Sherbrooke, “Décès du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Dag Hammarskjöld”, En ligne (Consulté le 27 Mars 2021).

La situation prend cependant un tour inattendu en 1960, lorsque Phoui est renversé du pouvoir par un coup d’État orchestré par des militaires lao menés par le général Phoumi Nosavan, lui-même renversé quelques mois plus tard par le capitaine lao-loum Kong-lê.

Général Kong le Source : Wikipedia, “Kong le”. En ligne (consulté le 27 Mars 2021).

Le capitaine demande un retour des neutralistes au pouvoir et la non-ingérence du Vietnam et des USA dans les affaires interne du pays. Kong-Lê appelle également le prince Souvanna-phouma à revenir au pouvoir.

Le prince est investi le 16 août et kong-lê déclare le coup d’État terminé. La radio de Vientiane appelle alors le Pathet lao à la réconciliation, ce que Souphanouvong acceptera le 23 août, des pourparlers sont alors mis en place.

Les USA ne sont cependant pas satisfaits de la situation et financent alors la création d’un comité “contre coup d’état” auquel se joignent Phoumi et le prince Boun-Oum.

Phoumi Nosavan, Source : Historica fandom, “Phoumi nosavan”, En ligne (consulté le 27 Mars 2021).

Souvanna-phouma, pour calmer les choses propose d’intégrer davantage la droite royaliste dans le gouvernement en proposant Phoumi comme vice-président et ministre de l’intérieur. Celui-ci refuse et déclenche une révolte contre le gouvernement, créant par la même occasion, un gouvernement provisoire avec à sa tête le prince Boun-oum.

Le pays est alors déchiré entre les trois factions, chacune menée par un prince :

Souvanna-phouma mène les neutralistes contre Boun-oum à la tête des phoumistes. De son côté, le prince Souphanouvong prétend soutenir le gouvernement neutraliste en prenant certaines villes au nord du pays (points traditionnellement bastions de la droite). L’action choque néanmoins les phoumistes mais aussi les Neutralistes toujours effrayés par le communisme.

Drapeau des forces armées neutralistes Source : Wikipedia “Forces armées neutralistes”, En ligne (consulté le 27 Mars 2021.

Le Laos : un pays déchiré géographiquement et idéologiquement

Après un refus de Souvanna-phouma d’obtempérer avec le bloc de l’ouest, les américains ainsi que leurs alliés thaïlandais se rangent du côté de Boun-oum et Phoumi alors que l’URSS et le Vietnam se pose comme soutien des neutralistes et du pathet lao. Les bases de ce qui sera considéré la “zone chaude” de la guerre froide sont alors posées.

Le 11 Novembre 1960, un kidnapping du premier ministre Souvanna-phouma lors de la visite du prince au Roi à Luang-phabang est orchestré. Bien que le kidnapping est un échec, il devient évident que la famille royale est du côté des phoumistes et la capitale Luang-phabang sort alors officiellement de la neutralité pour soutenir officiellement le prince Boun-oum.

En Juin 1962, un cessez-le-feu est organisé et les trois princes se rencontrent à Zurich. Toutes trois se mettent d’accord pour un deuxième gouvernement d’union nationale cette-fois-ci tripartite : Neutralistes, Pathet-lao et Phoumistes.  

Un second set d’accords de Genève est signé déclarant la neutralité du Laos dans la guerre froide. Américains et Sovietiques promettent de ne plus s’ingérer et trois zones au sein du pays sont identifiées, chacune administrée par un camp politique.

Phoumi n’accepte pas tacitement les accords mais, contraint par sa situation précaire, il se contente de s’assurer le maintien de son pouvoir sur sa propre zone.

Cette période de retour au “calme” est très fragile. Les accords sont très inégaux, et la partie neutraliste est la seule à appliquer strictement le traité en permettant à tout lao d’entrer dans leur zone. Si le pathet lao et les phoumistes font mine d’obtempérer, ceux-ci n’ont qu’un objectif : intégrer la partie neutraliste à leur propre zone d’influence. Enfin, URSS et US continuent secrètement de soutenir leurs alliés locaux.

Les ambitions de la gauche et de la droite lao ne tarderont pas à s’assouvir.

Le 12 Février 1963, après l’assassinat du colonel neutraliste Ketsana, le pathet Lao est accusé de meurtre et le ton monte. Des combats éclatent alors entre neutralistes et Pathet lao, les phoumistes s’en mêlent rapidement et la zone neutraliste se réduit petit à petit, capturée par les deux autres camps.

En Avril 1964, Souvanna Phouma est arrêté par des généraux de droite et les forces armées ainsi que les restes de la zone neutraliste sont fusionnés avec la zone phoumiste.

Le Laos dans la guerre civile

Après le démembrement de la zone neutraliste, le Laos est alors divisé entre communistes et phoumistes. À partir de 1965 guerre du Vietnam et guerre du Laos se mêlent, les américains incluant le pays dans leur zone de combats et n’hésitant pas à attaquer certains territoires lao pour couper les soutiens aux vietnamiens. Le Laos, durant la guerre du Vietnam, deviendra ainsi le pays le plus bombardé de l’histoire (sur une échelle bombardement par habitant).

Dans la zone royaliste, un faux gouvernement d’union nationale est mit en place. Le territoire est partagé entre des grandes familles qui s’enrichissent sans vergogne au travers du trafic de l’or et de l’héroïne. L’aide américaine est détournée et les monopoles sont abusés.

Drapeau des forces armées royale du Laos Source : Wikipedia, “Royal Laos armed forces”. En ligne, consulté le 27 Mars 2021.

Du coté du Pathet lao, si l’organisation est plus forte qu’avant, elle est totalement dépendante du Nord Vietnam.

Le parti communiste lao ne se lancera jamais dans des opérations très loin de la frontière Vietnamienne. Leurs unités sont formées surtout de minorités ethniquement non lao et les soldats sont plus durs car la vie est moins facile qu’aux abords du Mékong. Les soldats sont endoctrinés et encadrés par des officiers qui vivent dans les mêmes conditions que leurs inférieurs hiérarchiques.

Plusieurs échelons rythment l’organisation : Districts, cantons, villages, provinces. À chaque échelon, l’organisation est double avec deux comités : un administratif élu par les habitants avec un rôle purement exécutif et un politique veillant à ce que les lignes du parti soient suivies. Le Pathet lao ne forme pas de gouvernement à lui, mais gère la zone comme un vrai état, soutenu par le nord Vietnam qui a un besoin vital de conserve un accès aux routes passant par le Laos pour ravitailler l’insurrection au sud Vietnam.

Drapeau du Pathet lao, aujourd’hui drapeau national.

Plusieurs événements viennent rythmer la guerre au Laos notamment :

  • Une Guerre d’opium au sein de la partie gouvernementale au nord du Laos en 1967. Entrent en conflit des groupes armés, souvent pour de l’argent ou de l’opium. Une guerre symbolique de la façon dont fonctionne le Laos nationaliste au nord.
  • 1967 voit aussi l’assassinat d’Ariya, fils de Souphanouvong, la CIA et les hmongs étant tenus responsables du meurtre.

Source :

Image mise en avant : luang prabang mai, “ປະທານ ສຸພານຸວົງ ຕົ້ນແບບຜູ້ຮັກຊາດທີ່ຍິ່ງໃຫຍ່ສຳລັບຄົນຮຸ່ນສືບທອດ”, en ligne (consulté le 24 Mars 2021).

Lévy, Paul (1974). Histoire du Laos. Paris : Presses universitaires de France. 

Souk-aloun, Phou Ngeun (2002). Histoire du Laos Moderne (1930-2000). Paris : L’harmattan.