Mouvements de résistance et anticolonialisme au Laos (1897-1945)

Si la colonisation ne suscite que peu de réactions dans les premières années, les choses changent en 1897 avec l’intensification des mesures coloniales :

  • L’administration est renforcée et centralisée
  • L’alcool, l’opium et le sel sont monopolisés par les français
  • Les populations sont soumises à un système d’impôts et de travaux obligatoires

Les différences de traitement en fonction de l’ethnie n’aide pas non plus à stabiliser la région.

Les lao sont soumis à des tâches rudes et sans pause pour rentabiliser les coûts de la colonie et les familles sont forcées d’acheter de l’opium au colonisateur.

Le système de taxes en Indochine

Un recensement est établi tous les ans par les français afin de mettre au point des taxations sur mesure.

Les populations thaïes doivent payer 5 francs-or et doivent vingt jours de corvées par mois à l’Indochine française dans le nord du Laos. Dans le bas Laos seul 10 jours et 5 francs-or sont demandés, journées qui peuvent être échangées contre 5 francs supplémentaires. Les minorités ethniques payent elles 2,5 francs et devaient 10 jours de corvées échangeables contre 2,5 francs.

Le meilleur traitement revenait aux Vietnamiens installés au Laos qui payaient 5 francs et étaient exempts de corvées.

Les exportations (limitées au Cambodge et au Vietnam) ainsi que les passeports étaient toutes taxés. On établira plus tard une taxe sur les bœufs, sur les buffles, les éléphants et les charrettes. Enfin, tout profits de la vente d’opium devaient revenir au colonisateur.

Rapidement un mécontentement s’installera parmi les populations du Laos, les austro-asiatiques seront les premiers à se soulever, suivis par les Hmongs et des paysans Lao-Loums.

Exemples de soulèvements durant l’ère coloniale

  • 1901 : Soulèvement des Phou-mi-bouns (traduit “ceux qui ont du mérite”). “

Soulèvement des Austro-asiatique rejoins par les Lao-loums, le mouvement est mené par les frères Kommasèng et Kommadam ainsi que Mi. Partant du plateau Bolovens (zone particulière de révolte dans l’histoire lao) le phénomène se répand vite allant jusqu’à toucher Vientiane. Les répressions ne tardent pas à tomber le 19 Avril 1902, à Savannaket notamment où on compte 150 morts.

La rébellion s’éteint définitivement en 1910, réprimée dans la violence.

A Vientiane, tout réseau révolutionnaire est rapidement démantelé et les groupes de résistances sont chassés. Mi finira par être capturé et exécuté par les français en 1907 et Kommadam ne fut tué qu’en 1926 dans le massif de Phou Lang après des violences contre les populations.

S’étendant de 1918 à 1921, le mouvement est surnommé “la Guerre du Pachai” car instigué par le chaman « vu pachai », héros au sein de la minorité ethnique (ce qui est toujours le cas aujourd’hui). Le mouvement s’achève par le meurtre du chaman par des tribus rivales aux Hmongs, les khmu, instrumentalisés par les français dans la répression de la révolte.

Les français ne sont cependant pas satisfaits du résultat et décapiteront publiquement les chefs hmong tout en condamnant la minorité à payer une amende pour la guerre.

Fin de la Première Guerre mondiale et entre-deux-guerres

La situation d’entre-deux-guerres au Laos est moins violente que du côté du Vietnam.

En effet, la France se sert des minorités ethniques en les retournant les unes contre les autres. Dans ce cadre, les colonisateurs octroient un statut favorable à certains d’entre eux, c’est le cas des Hmong par exemple, qui se rallient au français après la promesse d’une plus grande autonomie et un district à eux.

Wikipedia, “French Indochina”. En ligne (Consulté le 19 Mars 2021).

Les austro-asiatiques sont de leurs côtés particulièrement malmenés, étant exploités par des fonctionnaires lao qui profitent des faveurs des français. Les corvées, les amandes, le manque de développement et les maltraitantes contribuent cependant à la hausse d’une colère du peuple, tout cela alors qu’une nouvelle classe moyenne émerge plus politisée vers 1934.

Il nous faut souligner que malgré les différents soulèvements, il serait inexact de prétendre l’existence d’un nationalisme lao.

En cause :

  • Un territoire imparfaitement définit par rapport au royaume de Lan Xang
  • une population lao séparée entre deux pays.
  • une décentralisation des pouvoirs autochtones
  • une trop grande hétérogénéité des ethnies
  • une Élite lao presque inexistante, écrasée par les Vietnamiens monopolisant les hautes fonctions.

D’ailleurs, la “docilité” du Laos par rapport aux autres parties de l’empire français (et plus particulièrement le Vietnam) leurs vaux une certaine appréciation du colonisateur qui les voit comme un peuple “gentil mais nonchalant, voire paresseux”. Cette réputation tenant du peu de vrais projets qui verront le jour au Laos ainsi que le commerce peu fructueux de la colonie. Le Laos étant habitué à traiter avec le Siam plutôt que le Vietnam et le déficit démographique réduisant les espoirs d’investissement et de développement.

Pourtant la période est propice aux changements en Asie. L’avènement du Japon comme puissance ayant battu un pays européen (la Russie) en 1905, la montée en puissance des Siamois et leur changement de nom en Thaïlande et le dynamisme du parti révolutionnaire vietnamien inspirent les mouvements indépendantistes.

Le Petit Journal, 6 Mars 1904, “Les évenements d’extrême orient : L’empereur du Japon remettant les drapeaux à ses troupes”.

L’arrivée en 1936 du front populaire en France marque un important changement dans les politiques coloniales. Le nouveau gouvernement socialiste s’intéresse à l’avis des peuples colonisés, déclenchant des vagues de grèves en Indochine. Cela mènera au décret « Blum-Moutet » mettant fin au travail obligatoire.

L’entre-deux-guerres voit également la formation du parti révolutionnaire lao officiellement « Phak Paxaxon pativat lao ». Parti populaire révolutionnaire lao qui provient du parti révolutionnaire indochinois fondé en 1930 par Nguyen Ai-Quoc plus connu sous le nom d’Hô chi Minh.

Malgré tout le Communisme peine à s’implanter au Laos. Deux raisons viennent expliquer ce fait :

  • Alors qu’au Vietnam la tradition est confucianiste (prônant ainsi une idéologie avec certains préceptes proche du communisme), au Laos, la population est à majorité Bouddhiste, religion prônant une pratique plus individuelle appréciée des lao.
  • L’absence de classes ouvrières/bourgeoise n’encourage pas non plus le mouvement. Alors qu’au Vietnam la différence de classe est frappante, l’élite lao est extrêmement restreinte (surtout aristocratique) et ne permet qu’à très peu de lao de partir pour la France et donc de découvrir les préceptes du communisme.

Ces deux raisons motiveront l’absence du communisme au lao jusqu’à la seconde guerre mondiale. C’est pourquoi si la « sureté générale indochinoise », appareil colonial répressif français extrêmement violent intervient au Laos, c’est surtout contre les Vietnamiens.

Seconde Guerre Mondiale

En 1940, après la réédition de la France durant la Seconde Guerre mondiale, un traité est imposé le 30 aout 1940 à l’Indochine française par le japon demandant l’arrêt du ravitaillement à la Chine et des concessions importantes, comme une défense commune, une coopération économique et un stationnement des troupes nippon.

L’Indochine deviendra une zone de stationnement militaire et une réserve de nourriture pour le Japon qui, en échange, laissera en partie l’administration aux français.

Ayant le soutien des colonisateurs, les japonais n’ont pas besoin de s’attirer les faveurs des colonisés et les japonais travailleront de cœur avec la sureté française pour réprimer les indépendantistes.

Mais le Japon n’est pas l’unique problème de l’Indochine française, en effet la Thaïlande ultra nationaliste du maréchal Plaek Phibounsongkhram souhaite revoir le tracé des frontières pour obtenir les territoires sur les rives du Mékong.

Le refus des français entraine une offensive sur la colonie et la Thaïlande prend un certain nombre de territoires au Laos et au Cambodge. Sous la pression des japonais, la France signe un traité remettant ces territoires à la Thaïlande.

Ces événements sont fondateurs dans la conception lao de l’époque. Le peuple lao (et notamment sa petite élite) douteront peu à peu de la capacité des français de protéger le pays. Le roi Sisavang Vong s’emportera notamment sur les élites coloniales, rappelant les obligations de la France de protéger le territoire lao comme l’avait promis Auguste Pavis. Pour le Laos, la France a définitivement perdu la face et manqué à ses obligations. Si la France n’est pas capable de protéger le Laos, quel est l’intérêt de maintenir un protectorat ?

En 1942, la Thaïlande entre formellement dans la seconde guerre mondiale en s’alliant aux japonais contre les européens. Le pays en profite pour lancer une forte vague de propagande sur le laos pour convaincre les lao de rejoindre l’armée thaïlandaise.

Une guerre d’influence s’engage alors entre la Thaïlande sous Plaek Phibunsongkhram et l’Indochine française sous Decoux, qui confiera les mesures pour contrer l’impact idéologique thaïlandais à Charles Rochet. Un traité franco-lao agrandit le royaume de Luang Phabang au sein du protectorat et le dote d’un gouvernement lao avec à sa tête le prince Phetsarath Rattanavongsa. Enfin, des mesures sont prises pour rendre plus facile l’accession à des hauts postes administratifs aux lao.

Plaek Phibunsongkhram. Source : Wikipedia, “Plaek Phibunsongkhram“. En ligne (consulté le 19 Mars 2021).

Le parti communiste indochinois est le grand gagnant de cette seconde guerre mondiale, profitant de la rivalité franco-thaïlandaise et de la présence du Japon pour stimuler la volonté d’indépendance.

En 1945, les japonais sont repoussés d’Asie et les alliés progressent dans le pacifique.

Voyant qu’ils perdent du terrain, les Japonais tentent un coup de force en envahissant les locaux coloniaux français, enfermant les hauts fonctionnaires. En contrepartie, les japonais mettent au pouvoir des personnalités lao pour s’assurer de leur partenariat pour diriger le pays.

Les Français se retirent au nord du pays et grâce à la complicité des lao organisent une guérilla antijaponaise. Beaucoup de fonctionnaires lao se positionneront d’ailleurs pour la France, c’est le cas du roi Sisavang Vong de Luang Phabang et de son fils Vatthana.

Le prince Phetsarath Rattanavongsa, lui se positionne du côté des japonais pour pousser vers une indépendance nationale.

Le 5 Avril, un gouvernement formé par Rattanavongsa est mit en place par les japonais à Luang Phabang et le prince Vatthana est banni. Le japon mène en parallèle une intense campagne de propagande dans le Laos pour convaincre de l’indépendance et de la liberté du pays grâce aux japonais

Le 8 avril 1945, le pays est unifié, intégrant l’ensemble du Laos dans le royaume de Luang Phabang. L’indépendance est déclarée pour la première fois et le 11 mai, une première constitution est érigée.

Le nouveau gouvernement crée une police et une armée et augmente le nombre de fonctionnaires lao.

Le 15 Août 1945, le Japon après les bombardements d’Hiroshima et Nagazaki capitule et se retire de l’Asie du sud-est.

La Seconde Guerre mondiale a tenu une place importante en Indochine, elle montre que les « colons blancs » ne sont pas invincibles et que des asiatiques ont pu les mettre à genoux. Lorsque les Japonais se retirent, ils laissent des pays convaincus de la fébrilité des européens, de la capabilité des asiatiques et de la possibilité de l’indépendance.

Source :

Image d’en-tête : Matière et évolution (2017), “Les apports bienfaiteurs de la civilisation coloniale française en Indochine”, En ligne. (Consulté le 18 Mars 2021).

Lévy, Paul (1974). Histoire du Laos. Paris : Presses universitaires de France. 

Souk-aloun, Phou Ngeun (2002). Histoire du Laos Moderne (1930-2000). Paris : L’harmattan.